vendredi 26 août 2016

N°35 - Les Grands Hommes Ne Servent à Rien


Cette chronique est inutile, car elle ne procure ni gain, ni bénéfice... Elle est aussi inutile que les grands Hommes ! Car il faut bien se le dire, à quoi servent les grands Hommes ?

Qui donc a gouverné le monde du temps de Molière ; de Mozart ; de Shakespeare ?
Comment ceux-là sont-ils morts ? Comment ont-ils été enterrés ?

Pourquoi, dans les écoles, bassine-t-on les gamins avec des génies ; de belles actions et je-ne-sais quelles autres nourritures de l’âme ? Pourquoi leur explique-t-on que ce sont les fruits qui nourrissent le progrès humain ?

Pour les occuper. Et pour qu’ils puiss
ent supposer, durant le temps des rêves, de l’enfance, qu'il est des choses supérieures à la puissance du grand Pouvoir ; du grand Argent ; qu'ils puissent suputer que la jouissance du temps et de l’espace ; du monde, point ne va à quelques-uns, dès l’instant où ces deux dimensions sont universelles. 
Pour qu’ils puissent penser que ce ne sont pas les faquins et/ou les hommes de grand Pouvoir et/ou de grand Argent qui toujours, du début à la fin, font marcher le monde en direction de leur présent à eux. Pour qu’ils grandissent avec un horizon qui ne soit pas trop vite étriqué ; qui ne soit pas trop tôt ce moment où l’on finit par comprendre que la seule propriété universelle ; commune ; totalement partagée, est la mort.

Certes, les grands Hommes ne sont pas que morts : ils connaissent une forme d'éternité avec la postérité. Mais... aucun survivant, en revanche : l'éternité ne tolère aucun survivant.


Le numéro suivant de CHRONIQUE INUTILE DU VENDREDI (La) vous causera d'engagement.

5 commentaires:

  1. Et si parfois les grands hommes étaient aussi ceux ou celles que l'on ne voit pas.... tout au fond de chacun de nous, bien vivants au contraire.... mais tellement invisibles hélas....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bien observé ! ;) Dans la société du spectacle et au sein du règne de la "visibilité médiatique", ce qui n'est pas perceptible au grattage n'existe pas ; "le vrai est un moment du faux" (le nom de l'auteur m'échappe, là :( ) Bises et merci de ta lecture et de ton commentaire :))

      Supprimer
  2. Cela me fait penser à un passage de "Barbe Bleue", un roman de Kurt Vonnegut. Un peintre y déclare ceci :

    Il était évidemment de mon destin de dessiner mieux que la majorité des gens, tout comme il est évidemment de ceux d’autres personnes de raconter des histoires mieux que personne. Il en est d’autres qui sont manifestement faits pour chanter et danser, expliquer les étoiles dans le ciel, exécuter des tours de magie, devenir de grands hommes politiques, des athlètes, des… que sais-je encore…

    Cet état de chose remonte, à mon avis, à l’époque où les gens étaient obligés de vivre en petits groupes unis par les liens du sang, disons : une cinquantaine ou une centaine d’individus au maximum. Alors l’évolution, ou Dieu, ou autre chose, faisait génétiquement en sorte que ces familles restreintes eussent toujours quelqu’un pour leur raconter des histoires autour du feu une fois la nuit tombée, quelqu’un d’autre pour leur peindre des choses sur les murs de leurs cavernes, quelqu’un d’autre encore qui, lui ou elle, n’aurait peur de rien, quelqu’un qui… etcaetera…

    Et bien sûr, pareille organisation de la société n’a plus aucun sens à notre époque, la presse, la télévision, les satellites et autres ayant tôt fait de n’accorder aucune valeur aux gens qui n’ont que de modestes talents. Celui ou celle qui, un tant soit peu doué, eût, il y a mille ans de cela, été considéré comme un véritable bienfait du ciel par sa communauté se retrouve aujourd’hui en concurrence quotidienne avec les meilleurs – on ne veut que des champions, et rien d’autres – et n’a plus bientôt qu’à renoncer et s’orienter dans une autre voie.

    Ne plus avoir qu’une douzaine d’individus – mais attention, tous des champions – dans les divers domaines où l’homme excelle, c’est la planète entière qui s’en accommode aujourd’hui. Vous n’avez qu’un tout petit talent ? Vous feriez mieux de le mettre en bouteille et de bien la boucher. Peut-être pourrez-vous un jour, tout un chacun étant fin soûl à la noce, vous lancer sans dommage dans votre numéro de claquettes à la Fred Astaire ou à la Ginger Rogers sur la table basse où l’on boit le café. On saura bien alors vous trouver le qualificatif que vous méritez. On vous traitera d’«exhibitionniste ».
    Et comment vous récompensera-t-on ? En vous assenant ceci dès le lendemain matin : « Ah ! Dis-donc, toi alors ! Qu’est-ce que t’étais bourré hier soir ! »

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hou la !... Kurt Vonnegut... Kurt... Vonnegut !!! ;) Il y a quelques décennies de cela que j'ai lu "Le pianiste déchainé"... Superbe, dans mon souvenir... Merci pour ce bel extrait à portée anthropologique ! Les groupements humains... A compter de quel degré de dilution deviennent-ils leurs propres fossoyeurs ?

      Supprimer
  3. excellent, c'est hélas tellement vrai.... mais ne lâchons rien, la preuve il y aura toujours des artistes inconnus qui se reconnaîtrons....

    RépondreSupprimer